Du trèfle à la fortune, par Alexandre Girard

Du trèfle à la fortune, par Alexandre Girard

Alexandre Girard et son équipe nous livre une petite série d’articles sur des enjeux de la transition agricole identifiés et peu traités lors d’accompagnements réalisés auprès de coopératives agricoles françaises.

Le rôle des coopérative dans la structuration des filières pour les cultures de couverture

Sylvain est céréalier dans la Meuse depuis 40 ans. Son exploitation varie chaque année entre blé et orge, avec une culture intermédiaire de trèfle. Il reçoit son conseiller agricole Pierre, qui travaille pour la coopérative locale. Quand Pierre lui présente l’idée de passer du trèfle à la luzerne, une culture de couverture pour laquelle la coopérative est en train de structurer une filière, Sylvain comprend tout le sens de la nouvelle PAC et il est conquis. Il réalise à quel point il est chanceux de faire part d’une coopérative qui a pris les devants dans la structuration des filières de cultures de couverture. Marché conclu.

Autrefois adressée aux terres les plus fragiles, l’obligation de couverture des sols s’applique désormais à l’ensemble des terres arables. Instituée dans un but de préservation de la qualité des sols et de leur biodiversité, cette nouvelle politique n’est pas sans conséquence, puisqu’elle demande aux les agriculteurs d’adopter de nouvelles pratiques et aux coopératives agricoles de se restructurer pour intégrer ces nouvelles filières.

La liste des couverts végétaux est longue : trèfle, luzerne, moutarde, sarrasin…, tout comme leurs bienfaits agroécologiques. Ils sont au cœur des discussions à la table des agriculteurs, qui voient leurs obligations fortement augmenter et recherchent un réel accompagnement de leur coopérative. Quelle plante choisir ? Pour quel effet ? Une multiplicité qui donne des migraines.

La valorisation de plusieurs cultures de couverture, au-delà de leur destruction pour amender la terre, demeure aujourd’hui un point d’interrogation. D’emblée, on peut penser que pour des cultures intermédiaires à vocation apicole (phacélie, sarrasin, mélilot), protéique (féverole, pois, lupin, lentille) et énergétique (colza, chanvre, sorgho), les débouchés seront plus faciles à trouver, mais pour d’autres comme les cultures à vocation fourragère (luzerne, trèfle, etc.), la tâche s’avère plus difficile.

Les difficultés à valoriser une grande partie des cultures de couverture leur donne une mauvaise réputation. Comment monétiser ces productions qui n’ont pas ou peu de débouchés en alimentation humaine, ou seulement des débouchés où la demande est faible. Il existe pourtant de beaux exemples de réussite de l’autre côté de l’Atlantique. Aux États-Unis, premier producteur de luzerne au monde, le foin de luzerne représente la troisième production végétale du pays et génère 11 milliards de dollars par an. La production est majoritairement destinée à l’export, notamment vers la Chine dont l’industrie laitière croissante est très friande du foin de luzerne américain de haute qualité pour nourrir ses bêtes.

Pour les coopératives polyvalentes, il existe une attente de la part de leurs adhérents qu’elles puissent développer et trouver des canaux de valorisation et de commercialisation pour ces productions. Bien que certaines coopératives aient initié des démarches, il y a pour le producteur aujourd’hui un manque-à-gagner par rapport à cette nouvelle imposition règlementaire. La biométhanisation est une belle voie de sortie, mais sa facilité masque-t-elle son faible rendement économique pour l’agriculteur? Et que faire des cultures de couverture qui n’ont pas de vocation bio méthanogène ? Sans surprise, pour un modèle résilient et durable, il faudra trouver les débouchés.

Alors que l’on impose de façon croissante des cultures moins rentables aux agriculteurs, les coopératives, par l’esprit de mutualisation et de volumétrie qu’elles incarnent, peuvent en profiter pour capter de nouveaux adhérents. Ces derniers ne sont pas exempts des nouvelles réglementations et devront aussi mettre en place des cultures de couverture, cependant, il y a fort à parier que leurs clients achetant leur récolte de culture principale seront peu enclins à acheter leur production intermédiaire. Ces producteurs peuvent-ils alors se tourner vers le système coopératif? Tout l’enjeu sera de trouver l’équilibre entre, d’un côté, l’impact de la collecte de ces productions moins rentables et les investissements conséquents qu’elle requiert en termes d’infrastructures qui viendra grever leur performance financière et, de l’autre, la fidélisation et le recrutement de nouveaux adhérents.

Le rôle et la structure des coopératives apparaissent comme un véritable avantage dans ce monde de diversification des cultures. La situation se complique pour les coopératives car les volumes d’une pluralité de cultures de couverture ne sont pas concentrés dans un petit nombre d’exploitations, mais explosés et éclatés en de nombreuses petites exploitations. Il semble improbable qu’une coopérative seule puisse affréter les constructions et équipements nécessaires et adapter son organisation pour assurer la totalité de cette collecte. Dans la recherche de la solution à cette énigme se dévoilent les prémisses d’une collaboration inter-coopératives, qui sera peut-être la condition nécessaire à l’atteinte des volumes indispensables pour garantir un résultat financier positif. Le partenariat et la coopération, à travers les territoires, entre les coopératives, semble émerger comme une piste de réflexion, sur laquelle il faut se pencher.

Les cultures de couverture sont déjà là, le seront davantage demain. Les coopératives doivent donc se poser des questions sur leur rôle dans la filiarisation et la structuration de ces dernières :

–       Les coopératives peuvent-elles privilégier un nombre restreint de cultures de couvertures afin d’avoir les volumes nécessaires pour en extraire une valeur ajoutée?

–       Quel maillage inter-coopératif peut être envisagé pour la valorisation des cultures de couverture?

–       Comment utiliser les cultures de couverture comme avantage de distinction coopérative?

Sources et références :

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